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20081213.html

Chroniques 13 déc. 6h51

Autodérision

Autodérision
Stefano Benni
Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli

L’Italie appauvrie ne renonce pas au culte de la voiture. Nous ne sommes plus des fils à maman. La maman est un modèle obsolète, elle n’a pas de turbo. L’image du conducteur italien qui fait un doigt d’honneur par la fenêtre n’a plus cours. L’automobiliste moderne est un mouton pluricylindré, qui râle dans un embouteillage, saigné à blanc par ses frais d’essence. Mais sans volant entre les mains, il se sent perdu. Dans les villes, circulent des jeeps de désert et des monospaces pour expéditions arctiques. Des femmes élégantes et furibondes conduisent de gigantesques 4 x 4 qui ne défient pas la jungle, mais les parkings en triple file devant les écoles, pour venir prendre leur fils. Le tout dans un nuage de pollution et une cacophonie de klaxons.

Après avoir farci le pays de voitures et de pollution et bloqué le développement du réseau ferré, l’industrie automobile tente un hypocrite rachat écologique. Elle affirme que le moment est venu pour la voiture électrique à faible émission de gaz. Quelle blague ! On aurait pu produire ces modèles il y a déjà vingt ans, mais à l’époque, le marché des voitures à essence était florissant. Ce qui aurait été nécessaire il y a des années est maintenant un business repeint en vert.

Acheter un vélo. Comment l’Italie réagit-elle face à l’hécatombe d’accidents qui se poursuit depuis des années ? On a mené une campagne justifiée sur les dangers de l’alcool et de la drogue au volant. Mais quelqu’un a-t-il jamais vu une campagne de pub qui dise : «Quel besoin as-tu d’une voiture qui fasse du 240 à l’heure ? Ne l’achète pas !» Ou : «En Italie, il circule deux fois plus de voitures qu’il ne serait nécessaire. Achète-toi une bicyclette !» Pour ne pas parler du lien symbolique moteur-sexe-bête sauvage qui excite tant les Italiens. Des voitures conduites par des top-models en manteau de léopard ou porte-jarretelles, des voitures-requins, des voitures-panthères. Jamais de voiture-bradype ou de voiture-limace.

Ce culte du dieu Auto culmine dans une manifestation appelée Motor Show, qui se tient à Bologne. Cette année, le slogan dit : «Les jeunes, vous voulez des femmes ou des moteurs ?» La réponse est : «Des moteurs !» Sur les affiches, on voit un jeune homme dormir sereinement : il partage son lit avec un moteur pourvu d’une flopée de bielles et de pistons. On veut fabriquer une génération de jeunes onanistes qui préféreront la conduite au sexe, car acheter une voiture augmente le PIB, baiser, non.

Le Motor Show est un lieu étrange et contradictoire. Durant dix jours, des milliers de visiteurs arrivent et repartent, bouchant les voies d’accès en un lent embouteillage, pour contempler des voitures de plus en plus rapides. Vous pouvez acheter la dernière Porsche Caïman et, sur le chemin du retour, heurter la voiture qui est devant vous en atteignant les 100 km/h en quatre secondes.

Dans les stands, les voitures sont accouplées à des hôtesses et à des danseuses légèrement vêtues. Pour 25 euros, les enfants peuvent photographier, dans un même cadrage, des culs et des phares. La marraine est une star de la télé grassement payée, les stars masculines, des as du volant. Il y a des concours sur des pistes mouillées, savonnées, dans de la polenta ou des sables mouvants, pour s’offrir le frisson du tête-à-queue et avoir des autos virilement souillées de boue.

Récemment, on a fermé plusieurs bars de Bologne, car ils étaient «bruyants». Mais leur bruit était un bourdonnement farouche de jeunes noctambules, alors que le vacarme des voitures est patriotique et industriel. Eh bien, ce gros jouet pour turbo-onanistes, cette apologie du gaspillage d’essence était dû à un certain Cazzola.

Epouser un diesel. Puis, ledit Cazzola a cherché fortune dans le foot et tenté de construire une mégalopole sportive aux portes de Bologne. On ne le lui a pas permis, alors, par dépit, il a laissé à la ville une équipe de foot de ringards et a vendu son gros jouet. Vous savez à qui ? A vous, les Français de GL Events [société d’organisation d’événements, ndlr]. Sachez donc que c’est aussi à cause de vous que les jeunes Italiens préfèrent les moteurs aux femmes ; adultes, ils épouseront peut-être un diesel ? Merci. En échange, nous viendrons avec dix mille 4 x 4 géants parcourir toutes les nuits les Champs Elysées.

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