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«Relève-toi, Italien»

En ce mois de propagande électorale, j’ai fait une
découverte: il y a un tas de gens qui m’aiment. Toute l’Italie est
tapissée d’affiches, de panneaux et d’écrans pleins de messages d’amour
pour moi. Sur les murs sont collées des lasagnes de couches de papier,
chaque affiche en recouvre une autre. Des visages souriants
apparaissent dans les trams, les taxis, les aéroports, me regardent,
gigantesques au bord des autoroutes, minuscules, aux arrêts de bus.
Tous ces visages de politiques me jurent amour, affection et
sollicitude. «Relève-toi», «Espère»,
«Je suis à tes côtés», «Nous pensons à toi»,
«Tu as un ami de plus»
.

Une séduction emmiellée qui dégouline dans les rues. Et pendant
qu’ils courtisent tendrement les électeurs, les chefs des partis
s’insultent, se traitent d’enculés, se crachent dessus. Une ambiance
schizophrénique. Tous les slogans comportent les mots
«nouveau», «changement»,
«avenir»,
même si la plupart de ces visages me sont familiers depuis des siècles.

Fasciste soft ou hard. J’arrive à l’aéroport, je me baisse pour
prendre ma valise; au-dessus de moi s’étale un écran géant sur lequel
Silvio Berlusconi me dit: «Relève-toi, Italien!»
On dirait qu’il veut que je me relève pour m’asséner le coup de grâce,
mais comment douter de son altruisme? Il a déclaré:
«Je me présente pour le bien du pays, je n’ai aucune ambition personnelle
et ne serai pas candidat aux prochaines élections.»

On ne sait pas très bien si c’est parce qu’il sera trop vieux
ou parce qu’il abolira les élections.

Sous le sourire éclatant de l’ancien démocrate-chrétien Casini,
un slogan propose: «Je veux faire quelque chose pour ta famille.»
Il n’y a pas de numéro de téléphone et c’est bien dommage: sinon je
l’aurais appelé pour lui dire que mon fils a envie d’une nouvelle
guitare. Il y a aussi le fasciste soft Alemanno et le fasciste hard
Storace, avec des slogans semblables: «Avec moi, tu es en sécurité.»
Je ne me sens absolument pas en sécurité: dans leur jeunesse, ils tabassaient leurs opposants,
dans ce même quartier de Rome.

Rutelli, le maire candidat de centre-gauche, sourit sur des milliers d’affiches qui affirment:
«Moi je t’écoute», tout
en serrant des mains de chauffeurs de taxi, de maçons et de ménagères.
Moi, depuis une heure, je fais la queue devant une station et je crie:
«Rutelli, écoute-moi, trouve-moi un taxi!» Personne ne me répond.

Je monte enfin dans un taxi: devant moi, sur un tract collé au
dossier du siège, un vieux magouilleur socialiste me regarde, au-dessus
du slogan «Sauvons l’épargne des Italiens!»
En descendant, je dis au chauffeur: «La course, c’est le monsieur du tract qui la paye.»
Mais le chauffeur m’envoie sur les roses.

Au feutre noir. Devant ma maison, on a collé l’affiche
gigantesque d’une certaine Santanchè, une députée qui, avec retouches
adéquates et lumière tamisée, se donne des airs de star du cinéma. Son
slogan proclame: «Moi, j’y crois.»
Une main perfide a ajouté au-dessous, au feutre noir «en la chirurgie esthétique».

Je vais au supermarché, la rue est pleine de nouveaux panneaux
électroniques. Ils ont été placés devant les monuments et les églises,
mais tout le monde s’en fout. Qu’y a-t-il de plus beau et de plus
artistique que la politique? Des écrans avec les têtes des candidats
illuminent la nuit, c’est comme si on regardait la télé même si on
n’est pas chez soi. Un visage hilare me demande:
«Tu veux une Italie propre?»
Je reconnais un type mis en examen pour corruption. Un autre, rapace notoire, propose:
«Gouvernons ensemble», sans préciser quel pourcentage il exige.

Œuf rouge ou bleu. A l’intérieur du supermarché, au rayon
téléviseurs, une centaine d’écrans diffusent des interviews de
politiques. J’essaie de fuir cet assaut de gens qui me veulent du bien,
mais une jeune fille me remet un dépliant sur lequel un candidat promet:
«Demain, je serai dans ce supermarché pour parler des prix.»
Je m’enfuis, terrorisé par tant d’amour. Je dois acheter un œuf de
Pâques. J’hésite entre un rouge et un bleu ciel. Je choisis le rouge.
Mais, provenant du bleu, j’entends une voix qui me dit:
«Je serai ta surprise politique, ne choisis pas le fondant amer rouge,
choisis l’avenir azuré au lait de Silvio.»

Je comprends alors que je suis en train de devenir fou, je cours
chez le médecin. Je lui décris mes symptômes. Il dit que je souffre
d’une overdose de propagande invasive, un cas plutôt banal. Ses paroles
me rassurent. Je me sens mieux. En plus, je n’ai rien payé. Il s’est
contenté de me faire promettre que je voterais pour lui: il est
candidat aux municipales.

(Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)

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