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«La Vierge absente» est aux toilettes – Libération
30/05/2009 à 06h52
«La Vierge absente» est aux toilettes
Par STEFANO BENNI Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli
Un touriste français particulièrement patient voulait visiter l’Italie. Il savait que le chef du gouvernement de ce pays était un corrupteur, un paranoïaque qui méprisait la démocratie, un misogyne, un menteur. Mais il savait aussi qu’il existait une multitude de beautés inégalables, et il voulait les découvrir. Il ne disposait que d’une semaine et voulait voir quelque chose d’original. Il acheta donc le Guide des chefs-d’œuvre italiens cachés, de Carla Bruni. Il apprit ainsi que l’œuvre d’art la plus méconnue et la plus merveilleuse était un petit tableau niché dans une chapelle de l’Italie centrale : la Vierge absente, de Merlozzo de Monteporzìn. Sur cette toile, on peut voir, sur fond d’un paysage merveilleux, un enfant Jésus qui pleure parce que sa mère, justement, s’est absentée un moment.
«Besame Mucho». Le touriste, confiant, partit pour Monteporzìn. Il arriva à l’aéroport de Rome-Fiumicino parfaitement à l’heure. Malheureusement, il dut attendre durant six heures la passerelle pour descendre de l’avion, et ses bagages s’étaient perdus. Le premier jour était déjà passé mais qu’importe, se dit le touriste patient : Merlozzo m’attend. Il prit un taxi ; la route était bloquée, suite à un exode vacancier, et il lui fallut sept heures pour rejoindre son hôtel. Celui-ci se trouvait dans la très centrale via Condotti, c’était l’heure du shopping et des milliers de personnes occupaient la rue. Il ne put entrer à l’hôtel qu’à la nuit noire.
A la réception, on lui dit qu’il s’était trompé, il se trouvait à l’hôtel Vecchia Roma cinq étoiles alors qu’il avait réservé à l’hôtel Roma Vecchia du Trastevere. Il se rendit au Trastevere à pied, se mêlant à un groupe de cent touristes japonais. A 3 heures, il parvint à dîner, entouré de tous les guitaristes ambulants du quartier, et fut obligé d’entendre trois cents fois Besame Mucho. Il avait perdu une journée mais, se disait-il, Merlozzo en vaut la peine.
Pissotière. Le lendemain, il visita rapidement les monuments, acheta six paires de caleçons tricolores et une boule de neige à l’effigie de Ratzinger. Il se rendit à la gare, mais il y avait une grève. Il attendit des heures, puis réussit à monter dans le premier train, toujours en compagnie des Japonais, chacun flanqué d’une Samsonite de deux quintaux. Mais il s’était trompé de rame et au lieu d’aller à Monteporzìn, il se retrouva à Reggio Calabre. Dans le train, toutes les toilettes étaient hors d’usage. Heureusement, les Japonais pleins d’ingéniosité transformèrent une Samsonite en pissotière collective. A Reggio Calabre, le touriste prit un car pour revenir en arrière mais sur l’autoroute Reggio-Naples, il y avait 200 km de queue et il n’arriva que le lendemain.
Il prit ensuite le train pour Perugia. Il ne savait pas que l’Italie est un pays où l’on circule verticalement : on peut aller de Milan à Rome en quatre heures, mais si l’on essaie de couper horizontalement, il faut une vie. Ce fut le cas : après 112 arrêts, il parvint à Perugia. Il loua une bicyclette pour se rendre à Monteporzìn. Parfois, la pente était de 26 %, mais après plusieurs heures de grimpette, il atteignit le village, épuisé. Tout était fermé car c’était jour férié.
Il ne lui restait plus qu’un jour et demi. Le lendemain, un curé très gentil lui dit que, ce matin-là, l’église était fermée pour travaux de restauration et qu’il devait revenir l’après-midi. Il pouvait visiter les autres beautés du village, comme l’imposante antenne de relais de télé, et le magnifique magasin Ikea, au creux de la vallée. Le touriste patient attendit. Pendant ce temps, on lui vola sa bicyclette, mais Merlozzo en valait la peine. Il arriva enfin à l’église et se dirigea, tout ému, vers la petite chapelle renfermant le tableau.
Panorama. Il vit une pancarte. «La Vierge absente de Merlozzo de Monteporzìn se trouve au Louvre dans le cadre d’une exposition sur le XVIe siècle italien.» Le touriste pleura. Puis il se consola et entra dans un petit restaurant. Le serveur était gentil, on mangeait bien et on voyait tout le panorama de la vallée. Sur un mur, le touriste vit un tableau qui était une copie parfaite de la Vierge de Merlozzo. Avec le peu d’argent qui lui restait, il l’acheta. Lorsqu’il rentra à Paris, il lut un article sur «le scandale de la Vierge absente du Louvre». Le tableau s’était avéré être un faux, et l’original avait été perdu. Aujourd’hui, bien cachée dans les toilettes du touriste, il y a la Vierge absente de Merlozzo. Il la regarde tous les jours et ne la montre qu’à quelques rares amis. Morale : par les temps qui courent, pour mériter la beauté, il faut souffrir. Mais la beauté viendra.