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Ces couillons et ces cochons de VIP

Il était une fois la vulgarité. C’est-à-dire ce
langage, grossier et coloré, avec lequel le vulgaire, les pauvres
chantaient leurs malheurs et leurs colères. Un vacarme plébéien et
insolent, une invention linguistique dans tous les dialectes et
jargons. Dans leurs palais, en revanche, les riches mettaient la poudre
et le fard de la métaphore sur chaque terme inconvenant ou trop
corporel. Mais même cette prérogative a été enlevée aux pauvres. En
Italie, à l’ère cathodique, le langage obscène est l’apanage des
politiciens, des puissants, des personnages télévisuels. Le gros mot et
l’insulte font grimper l’Audimat. D’où la naissance du néovulgaire à
l’usage des riches: la télévision est la poubelle dorée qui le
contient.

Petit rot. Dans certaines émissions, des excitateurs professionnels, hypocritement appelés
«modérateurs»,
célèbrent le rite du gros mot sacré. Des politiciens hurlent, tous en
même temps, en une cacophonie où l’organe préposé à la discussion n’est
pas le cerveau, mais le larynx. Les leghistes traitent les immigrés de «cochons»,
Berlusconi qualifie les électeurs de gauche de «couillons»,
jusqu’au doux Prodi qui sème à la ronde quelques
«crétin» et «bouffon». Le
député Storace dit que la nonagénaire Rita Levi Montalcini, sénatrice à
vie, est une momie qui a besoin de béquilles. Devant Montecitorio, une
députée fait un doigt d’honneur aux contestataires, qui lui rendent la
politesse. A la mi-journée, les plateaux réunissent des filles très
maquillées et des garçons tartinés de gel. En une heure de hurlements,
chacun révèle ses cocuages et ceux des autres, alors que fusent les «salaud»,
«pétasse».
Dans les émissions de type Loft, on attend avidement l’insulte, la rixe, le juron,
ou au moins le petit rot qui détendra les téléspectateurs.
C’est le monde du gossip, élégant manteau linguistique anglais qui couvre
des exhibitions peu élégantes.
Mais attention! Alors que le gros mot promotionnel est permis aux
stars de la télé, le peuple, lui, doit être obéissant et poli. Si des
gamins écrivent quelque chose sur un mur, ils écopent d’un an de prison
ferme. On censure des expositions sur la peinture homosexuelle, on
dénonce la présence de Pasolini dans les manuels scolaires. Le comique
Beppe Grillo a créé un blog de contre-information, où chacun peut se
défouler, souvent avec virulence. Il s’est fait traiter de «terroriste». Où
a-t-il bien pu trouver cette agressivité verbale, se sont demandés les
commentateurs naïfs? Il regarde la télé de quel pays?
Donc, touristes masochistes, si vous voulez vous offrir le frisson du restaurant trivial
ou de la querelle de rue, ou du vaffanculo
AOC, pas besoin de vous rendre dans les lieux les plus malfamés
d’Italie. Allez dans les boîtes huppées de la Costa Smeralda, en
Sardaigne, où volent de vraies et fausses gifles pour les paparazzi, ou
dans les ports de luxe, où on en vient aux mains pour un poste
d’amarrage. Ou bien voyagez à bord de n’importe quel train où, à la
barbe de toute discrétion, vous entendrez des conversations cellulaires
à pleine voix, des femmes qui injurient leur mari, et des maris qui
font savoir à toute la rame que leur femme s’envoie en l’air avec le
moniteur de ski.

Grosse boulette. Soyez surtout prudents dans les stades. Je ne
fais pas allusion aux ultras. C’est dans les tribunes VIP que le jeu
est le plus dur. Ici, ce ne sont pas des policiers qui interviennent,
mais d’austères stewards, qui tentent d’apaiser des dames excitées et
des présidents qui veulent égorger l’arbitre. Vous ne me croirez
peut-être pas, mais dans une tribune VIP enragée, Materazzi passerait
pour un gentleman. Mais attention, ce langage n’est pas le signe d’une
noble bataille d’idées. Dès la fin du débat télévisé, les participants
se serrent la main, minimisent, et s’en vont bras dessus, bras dessous.
Ce n’était que du théâtre, au revoir, à la prochaine. Et dès que
quelqu’un sort une grosse boulette, il la dément. Oui, j’ai dit «assassin»,
mais c’était une citation d’Agatha Christie.
J’ai dit qu’il faut cribler de balles les immigrés?
Ce n’était qu’une boutade.
Même la qualité des insultes laisse à désirer. Nous ne demandons pas
l’imagination de Rabelais ou de l’Arétin, mais au moins, un brin de
fantaisie et d’ironie, qui a toujours été une prérogative italienne. Ce
sont des insultes mécaniques, réchauffées, ennuyeuses. Quand Totò, le
grand comique, jouait sur la dérision, c’était comme écouter une
symphonie railleuse; là, c’est comme entendre ressasser la même note,
monotone et rageuse. Ça ne va pas. Si on veut parler mal, il faut
savoir bien le faire.

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